Dans notre blog de la semaine 35/20, nous résumions succinctement l’arrêt Ivanishvili, Bidzina v Credit Suisse Trust Ltd, [2020] SGCA 62, rendu par la Cour d’appel de Singapour le 3 juillet 2020, et par lequel la compétence des tribunaux de Singapour avait été confirmée.
Le 26 mai, la Cour internationale de commerce de Singapour a rendu le jugement [2023] SGHC (I) 9, condamnant la défenderesse à dédommager les demandeurs à hauteur de US 846’569’227 (sous déduction du dédommagement obtenu le 25 juillet 2022 de la Cour suprême des Bermudes ([2022] SC (Bda) 56 Civ dans la procédure connexe à l’encontre de Credit Suisse Life (Bermuda) Limited). L’indemnité correspond au dommage causé par le trustee – soit la différence entre le rendement qui aurait été réalisé si les avoirs avaient été gérés durant la période du 30 mars 2008 au 26 mai 2023 par un « trustee compétent, professionnel, et sans fraude », et le résultat déclaré par la défenderesse ; elle est à verser au trust fund.
Des 257 pages de ce jugement, nous avons prêté une attention particulière aux considérations juridiques suivantes :
- Dans sa tentative de limiter les conséquences de ses violations flagrantes et répétées de son devoir de sauvegarder les avoirs mis en trust (« breach of duty to saveguard the Trust assets ») – qui relève de l’equity et non pas du common law –, la défenderesse a inventé un nouveau concept, celui de « surveiller le périmètre du Trust» (« to police the perimeter of the Trust »). Face à la sortie de millions d’actifs sous son contrôle, dans l’irrespect des devoirs les plus fondamentaux d’un trustee, la Cour a écarté ce concept amorphe et mal défini (« amorphous and ill-defined »).
- Dans le même but, la défenderesse a cherché, en vain, à s’abriter derrière des dispositions à caractère « anti-Bartlett » du Trust Deed – ainsi nommées depuis l’arrêt Bartlett v Barclays Bank Co Ltd [1980] Ch 515 – en invoquant sans succès l’arrêt cardinal Zhang Hong Li and others v DBS Bank and others [2019] HKCFA 45. La Cour a suivi l’argument des demandeurs selon lequel les pouvoirs réservés (« reserved powers ») dont ils bénéficiaient ne pouvaient pas exonérer la défenderesse de son obligation fondamentale de surveillance des actifs, en tant qu’élément essentiel du devoir de sauvegarde.
- La Cour n’a non plus pas retenu l’imprudence (« contributory negligence »), alléguée par la défenderesse en tant que faute concurrente, car son devoir de sauvegarder les actifs du Trust n’était pas une simple obligation de diligence en matière délictuelle.