Semaine 17/24 – Suisse – Preuve du lieu de l’administration effective d’une personne morale dans le cadre d’un conflit de compétence de l’imposer

A l’origine du litige ayant donné lieu à l’arrêt 9C_591/2023 du Tribunal fédéral du 2 avril se trouvait le transfert du siège social de la recourante dans un autre canton, suivi de la contestation par le canton de départ de la fin de l’assujettissement illimité, au motif du maintien de l’administration effective dans ce canton.

Le tribunal rappelle d’abord le principe jurisprudentiel, selon lequel, en cas de conflit entre deux cantons, c’est celui de l’administration effective qui l’emporte sur le canton du siège, puis il revient sur la notion d’administration effective – lieu où sont conduites les activités courantes de la société en tant que centre de son existence économique (voir notamment nos blogs des semaines 10/19, 44/20 et 38/23).

Dans l’arrêt attaqué, l’instance précédente a conclu que les explications des autorités fiscales laissaient « paraître comme très vraisemblable » le canton de départ comme celui qui continuait d’abriter l’administration effective. Selon le tribunal, il s’agissait cependant de la reprise d’une jurisprudence dépassée, et cela à deux égards : d’abord parce que, selon  l’article 46 alinéa 1 LHID, l’autorité de taxation doit appliquer la maxime inquisitoire, ne laissant à la charge du contribuable que le devoir de collaboration, et ensuite parce que l’arrêt attaqué conduit à un inversement de la règle sur le fardeau de la preuve posée à l’article 8 CC.

En dépit de cette critique, le tribunal arrive à la même conclusion et rejette le recours contre de la taxation par le canton de départ. Il n’y a conflit, selon lui, ni avec la maxime inquisitoire ni avec la règle de répartition du fardeau de la preuve lorsque la formulation retenue traduit le niveau de preuve, c’est-à-dire lorsqu’elle reflète le degré de conviction acquise par l’autorité administrative ou judiciaire. Ainsi, le degré maximal est atteint lorsque l’autorité ne peut plus avoir, au stade de ses conclusions, de doutes sérieux (ou lorsque le doute résiduel apparaît comme léger) au sujet des faits sous-jacents, que ce degré résulte directement de preuves formelles ou d’un faisceau d’indices. Dans le domaine du droit des assurances sociales, ce sont les termes de « überwiegende Wahrscheinlichkeit » (vraisemblance prédominante ou prévalente) qui sont utilisés. Après un détour par les droits anglais et allemand ( !) et par la procédure civile, les juges concluent que le même niveau de preuve, « abaissé » à la vraisemblance prévalente, peut être suffisant en droit fiscal aussi, comme en droit des assurances sociales, lorsque par leur nature, les faits ne se prêtent pas à une preuve absolue, ce qui est notamment le cas de l’ancrage de l’activité déterminante d’une société à un lieu précis.

Pour ce qui est de l’impôt prélevé par le canton où le siège social avait été transféré, le tribunal constate l’absence d’établissement stable pouvant donner lieu à un assujettissement limité et justifier une imposition. Rappelant le changement de sa jurisprudence au sujet de la péremption du droit du contribuable de se prévaloir de l’interdiction de la double imposition (voir notamment notre blog de la semaine 38/23), le tribunal écarte l’opposition de ce canton à restituer à la recourante les impôts indument (faute d’assujettissement) prélevés ; il rejette aussi ses arguments tirés de la PFCC au sujet de la péréquation des ressources. Tout en ordonnant la restitution de ces impôts, il n’admet pas leur majoration d’un intérêt, comme la recourante le demandait, car une telle rémunération ne peut découler que de la législation cantonale et non pas de l’interdiction constitutionnelle de la double imposition.