Le 26 février, la Cour de Justice de l’Union Européenne a publié six arrêts (C-115/16, C-116/16, C-117/16, C-118/16, C-119/16 et C-299/16) en relation avec les notions essentielles de bénéficiaire effectif, d’abus de droit et de mesures anti-abus, sous l’égide des directives 2003/49/CE du Conseil du 3 juin 2003 concernant un régime fiscal commun applicable aux paiements d’intérêts et de redevances effectués entre des sociétés associées d’Etats membres différents et 211/96/UE du Conseil du 30 novembre 2011 concernant le régime fiscal commun applicable aux sociétés mères et filiales d’Etats membres différents. En résumé, il a été jugé que :
- Concernant le bénéficiaire effectif
Dans le contexte de la première directive, est bénéficiaire effectif des intérêts ou des redevances au sens de l’article 1 alinéa 4 le récipiendaire qui bénéficie des produits reçus et qui a le pouvoir d’en disposer librement. Il s’agit d’une notion propre au droit européen, qui peut être différente tant de celles des Etats membres que de celles données par les conventions contre les doubles impositions (l’article 3 alinéa 2 MC OCDE notamment renvoyant aux droits nationaux).
L’absence de liberté de disposition conduit à réduire le récipiendaire au rôle d’agent agissant pour le compte de tiers, et de le priver de l’attribut de la libre disposition caractérisant le bénéficiaire effectif. - L’abus de droit
L’absence de la qualité de bénéficiaire effectif n’implique pas nécessairement un abus du droit européen. Serait abusive toute construction purement artificielle, dépourvue de justification économique et commerciale, ayant pour but essentiel d’utilisation impropre d’un avantage fiscal.
La notion de bénéficiaire effectif donne l’accès au bénéfice de la directive et des conventions. Un abus ne peut être le fait que d’une personne pouvant utiliser la directive ou une convention. - Mesures anti-abus
Au vu du principe général interdisant les pratiques abusives en droit européen, les autorités nationales doivent refuser le bénéfice des directives, même en l’absence de dispositions anti-abus expresses nationales ou conventionnelles.
Cette jurisprudence n’est pas sans intérêt pour la Suisse, en rapport avec l’article 9 de son Accord avec l’Union Européenne sur l’échange automatique d’informations relatives aux comptes financiers en vue d’améliorer le respect des obligations fiscales au niveau international. D’ailleurs, le Tribunal administratif fédéral et le Tribunal fédéral avaient déjà eu l’occasion d’invoquer l’accord précédent (art. 15 AFisE) en rapport avec le refus de dégrèvement de l’impôt anticipé suisse sur des paiements vers des sociétés bénéficiaires européennes.
Il est à espérer que dans leur future jurisprudence, les tribunaux suisses s’attacheront davantage, dans leur appréciation du comportement abusif, au caractère « purement artificiel », mis en évidence déjà dans l’arrêt de la cour du 13 décembre 2005 dans l’affaire Marks & Spencer Plc.