Semaine 22/21 – Suisse – De la conformité d’une demande d’assistance administrative internationale à l’ordre public suisse en cas d’application rétroactive de dispositions pénales par l’Etat requérant

Pour entrer en matière dans la cause 2C_750/2020, qu’il a jugée le 25 mars sous l’égide de l’article 26 alinéa 3 lettre c) CDI CH-IN, le Tribunal fédéral a estimé que la question de l’application rétroactive par l’Etat requérant de dispositions pénales de droit matériel  à la suite d’une demande d’assistance administrative faite à la Suisse était une question juridique de principe.

Pour être contraires à l’ordre public  au sens de cette disposition, et à ce titre ne pas être transmissibles, les renseignements requis doivent porter sur des intérêts vitaux de l’Etat requis, selon le commentaire MC OCDE ; il s’agit de cas extrêmes. Toutefois, il peut y avoir atteinte à l’ordre public également en cas de conflit avec des valeurs fondamentales de justice. En tout état de cause, l’ordre public doit être interprété de manière restrictive et, partant, ne peut être opposé qu’exceptionnellement à une demande d’assistance administrative, en relation en particulier avec le principe de la bonne foi du droit international public.

Pour appréhender les droits fondamentaux intangibles, le tribunal a passé en revue les garanties minimales inclues dans la CEDH et dans le Pacte II ONU, ainsi que sa jurisprudence en matière d’entraide judiciaire internationale. L’interdiction d’appliquer rétroactivement le droit pénal découle de l’article 7 alinéa 1 CEDH, qui fait partie de l’ordre public européen et national. Il s’ensuit qu’une demande d’assistance administrative pour l’utilisation des renseignements dans une procédure pénale, y compris fiscale, serait contraire à l’ordre public. Tel n’est en revanche pas le cas lorsque les renseignements demandés seront utilisés exclusivement dans le cadre d’une procédure administrative, même si elle emporte des sanctions pénales d’une violation des obligations fiscales des personnes visées (voir notamment notre blog de la semaine 10/21).

 Le litige devait ainsi être tranché au regard du caractère, administratif ou pénal, des dispositions du Black Money Act indien, sur lequel était fondée la demande d’assistance administrative. L’interdiction de la rétroactivité ne ferait pas échec à la demande déposée en vue de l’application de dispositions de droit administratif. S’il s’agit de dispositions à caractère pénal sans rapport avec l’assistance administrative, le principe de la spécialité protégerait la personne visée contre l’utilisation autre que fiscale des renseignements obtenus. La question centrale était dès lors de savoir si les renseignements recueillis allaient être utilisés dans le cadre d’une procédure pénale fiscale, fondée sur des dispositions de droit pénal matériel entrées en vigueur postérieurement à la commission des actes répréhensibles.

Le tribunal a estimé qu’il y avait certes certains indices que le Black Money Act, en vigueur depuis le 1er juillet 2015, visait aussi la poursuite pénale de délits fiscaux et qu’il pouvait être appliqué rétroactivement (donc aux années 2007 à 2012 au centre de la demande d’assistance administrative litigieuse). Mais il a  jugé que ces indices ne suffisaient pas à établir avec vraisemblance que le recourant risquait, à la suite de l’agrément de la demande, une condamnation pénale basée sur l’application rétroactive de dispositions de droit pénal matériel. La communication des renseignements requis ne serait donc pas contraire à l’ordre public. Le recours a été rejeté.