Semaine 6/25 – Suisse – Trust liechtensteinois à l’épreuve du droit successoral suisse

L’arrêt 5A_89/2024 que le Tribunal fédéral a rendu le 16 décembre mérite une attention particulière en rapport avec le traitement sur le plan du droit successoral d’un trust atypique. Le contentieux opposait les enfants, recourants, aux petits-enfants, intimés, du decujus au sujet des effets d’un trust – que ce dernier avait constitué par acte inter vivos, avec lui-même comme seul bénéficiaire de son vivant, puis deux de ses enfants, et auquel trust il avait apporté une partie de sa fortune – sur l’actif successoral : la fortune du trust faisait-elle partie de l’actif successoral, comme l’instance précédente l’avait jugé, ou en était-elle exclue, comme le soutenaient les recourants ?

Le trust en cause n’était pas un trust de droit anglo-saxon, mais une entreprise fiduciaire (Treuunternehmen) de droit liechtensteinois, régi par l’article 932a de la loi relative aux personnes physiques et morales (PGR). Il est atypique dans le sens où il a une personnalité juridique et c’est lui qui est propriétaire des actifs confiés, alors que le fiduciaire n’a, en tant qu’organe de la personne morale, qu’un droit réel d’administration et de disposition. Ne remplissant ainsi pas la caractéristique du trust selon l’article 2 alinéa 2 lettre b de la convention relative à la loi applicable au trust et à sa reconnaissance, l’entreprise fiduciaire est exclue de son champ d’application ; au regard du droit international privé de la Suisse, elle est à appréhender par l’article 154 et non pas par l’article 149a LDIP. Il n’en demeure pas moins que les enseignements tirés de cet arrêt s’appliquent aussi aux trusts anglo-saxons pour ce qui est des caractéristiques communes, à savoir constitution inter vivos ou mortis causa, révocables ou irrévocables (par le constituant), discrétionnaires ou fixed interest (au regard des droits des bénéficiaires).

Le caractère révocable ou non de l’entreprise fiduciaire en cause était précisément la pierre d’achoppement du contentieux. Le tribunal n’a pas suivi l’instance précédente pour qui l’attribution des avoirs à l’entreprise n’avait pas été irrévocable dès lors que de son vivant le constituant en était le premier bénéficiaire. Elle avait en effet à tort ignoré le dessaisissement total et définitif – c’est-à-dire sans rétention de pouvoirs – fait par le constituant au profit de l’entreprise et de ses bénéficiaires et la position de bénéficiaire, certes premier et durant sa vie, mais néanmoins discrétionnaire qu’il s’était attribuée dans l’acte constitutif. L’argument des intimés que les avoirs de l’entreprise avaient été inventoriés et imposés comme faisant partie de la succession du constituant n’y changeait rien. Les prérogatives des trustees quant au moment, aux montants et aux modalités des distributions aux bénéficiaires étant, selon les documents, bien irrévocables et discrétionnaires, le tribunal en admis la distraction de l’apport au trust de la fortune du de cujus. Et il l’a confirmée, au regard des faits, qui ne permettaient pas d’ignorer le trust au motif qu’il serait un sham trust, ce qui aurait conduit à considérer la situation en transparence pour éviter un supposé abus de droit (voir à cet égard l’arrêt du Tribunal fédéral 5A_436/2011 du 12 avril 2012).   

L’instance précédente avait jugé que la désignation de deux des recourants comme bénéficiaires secondaires de l’entreprise fiduciaire n’avait pas respecté les exigences de forme des dispositions de dernière volonté du droit suisse. Le Tribunal fédéral a jugé, lui, que la qualité de bénéficiaires remontait à la constitution de l’entreprise fiduciaire, par acte entre vifs – et non pas au décès du constituant – et que par conséquent les dispositions sur la forme des dispositions de dernière volonté n’étaient pas applicables.

Le tribunal a examiné deux autres questions, celles du rapport (selon les art. 626 ss CC) et de l’action en réduction (selon les art. 522 ss CC) en relation avec la qualité de bénéficiaires secondaires de l’entreprise fiduciaire. En l’occurrence, en l’absence de distributions du vivant du constituant de l’entreprise fiduciaire irrévocable est discrétionnaire, il ne pouvait être question de libéralités rapportables ; ce faisant, le tribunal a indiqué qu’il en irait différemment en cas de distributions discrétionnaires reçues du vivant du constituant et de distributions reçues en vertu d’un fixed interest. Les intimés n’ayant pas soulevé la question de l’action en réduction, le tribunal n’a pas eu à statuer sur elle ; il a néanmoins fait référence à son arrêt 5A_620/2007 du 7 janvier 2020 et à la nécessité d’analyser chaque trust pour lui-même. 

Le recours a été admis dans son intégralité.