Semaine 46/24 – Suisse – L’obligation de transfert des revenus grevés d’impôt anticipé, privative de la qualité de bénéficiaire effectif

Par l’arrêt 9C_635/2023 du 3 octobre, le Tribunal a admis recours dirigé contre l’arrêt A-2121/2020 que le Tribunal administratif fédéral avait rendu le 4 septembre 2023, confirmant le refus opposé par l’Administration fédérale des contributions à la recourante, une association danoise, de lui accorder le bénéfice de l’article 11 alinéa 1 CD CH-DK, par application de l’article 26 alinéa 2 CDI (remboursement de l’impôt), concernant les intérêts des obligations de la Confédération qu’elle détenait (voir notamment notre blog de la semaine 38/23). Ce refus avait été fondé sur le double critère de dépendance (voir notamment notre blog de la semaine 37/23), privatif de la qualité de bénéficiaire effectif des revenus.

Le Tribunal fédéral a successivement examiné les deux aspects de la question – le droit au dégrèvement conventionnel et l’éventuel abus de convention.

En rapport avec la première question, le tribunal s’était déjà prononcé plus d’une fois sur le double critère de dépendance (voir notamment le blog du Groupe Ilex de la semaine 20/15 et les nôtres des semaines 2/20, 28/20 et 31/23). Examinant à nouveau la portée des termes « bénéficiaire effectif », au regard en particulier des versions successives du MC OCDE  et de sa propre jurisprudence, il a confirmé que seules les obligations de nature légale ou contractuelle pesant sur le récipiendaire pour se dessaisir des revenus (dividendes, intérêts, redevances) – à l’exclusion donc d’incitations ou d’obligations d’autre nature – doivent entrer en ligne de compte. Pour autant, ces obligations déterminantes peuvent résulter non seulement du texte des contrats en présence, mais encore d’autres indices à portée juridique. Le Tribunal administratif fédéral s’en était certes tenu, selon le Tribunal fédéral, à l’examen des contraintes de transfert contractuelles. Il avait cependant fait référence à une « obligation de fait de transfert » et avait tenu compte du risque lié aux variations des intérêts en cause, sortant ainsi de l’appréciation de l’obligation de transférer d’un point de vue purement juridique. Dans l’appréhension de celle-ci, il s’était d’un autre côté limité aux seuls textes contractuels, sans considérer d’autres indices juridiques à portée contractuelle. Le Tribunal fédéral a ainsi conclu que les conditions de dégrèvement de l’article 11 alinéa 1 CDI CH-DK avaient bien été remplies et a admis le recours sur ce point.

Pour ce qui est de l’abus de la CDI, le tribunal a estimé qu’il n’y avait pas de raison de s’écarter, dans le domaine du droit fiscal international, de sa jurisprudence récente rendue dans le cadre d’un arbitrage en matière de protection des investissements, selon laquelle, il s’agit d’un principe général du droit international, cette position étant par ailleurs partagée par la Cour internationale de justice. En l’occurrence, il a jugé qu’il n’était pas a priori exclu que l’aménagement du bénéfice de la CDI avec les opérations d’échange (« swap ») fût contraire au but de la norme et donc constitutif d’évasion fiscale au sens du droit interne, conduisant à l’application de l’article 21 alinéa 2 LIA (voir notamment notre blog de la semaine 27/20). Après avoir passé en revue un grand nombre d’indices sur le fond de sa jurisprudence, le tribunal a conclu qu’il ne pouvait néanmoins pas juger de manière définitive s’il était en présence d’une évasion fiscale et a renvoyé la cause à l’autorité inférieure pour un complément d’investigations, en dépit du coût élevé qui allait en découler. Si le Tribunal administratif fédéral ne devait pas retenir l’évasion fiscale au terme de son examen approfondi, le bénéfice conventionnel ne pourrait pas être refusé à la recourante ; dans le cas contraire – c’est-à-dire d’évasion fiscale avérée – il resterait néanmoins à examiner si, du comportement des Etats contractants ou des motivations de la recourante, il ne peut être tiré des arguments excluant l’abus conventionnel, comme par exemple, l’application abusive de l’objection d’abus de convention.