Semaine 42/24 – Suisse – Le prêt à l’actionnaire en tant que distribution dissimulée de bénéfice

La question sous rubrique est au centre des trois arrêts que le Tribunal fédéral a rendus le 12 septembre – 9C_565/2023, 9C_566/2023 et 9C_567/2023.

Après avoir posé les quatre caractéristiques retenues par la jurisprudence de toute distribution dissimulée de bénéfice selon l’article 58 alinéa 1 lettre b. 5e tiret LIFD, il a rappelé le fondement de la requalification d’un prêt à l’actionnaire en distribution dissimulée de bénéfice, à savoir que l’opération s’écarte des conditions qui auraient été exigées d’un tiers, c’est-à-dire des usages et des affaires habituelles conformes au marché. Tel est en particulier le cas si le prêt n’entre pas dans le but social ou s’avère inhabituel au regard de la structure du bilan (lorsqu’il n’est pas couvert par des moyens existants de la société ou apparaît excessivement élevé par rapport aux autres actifs et génère ainsi un gros risque), en cas de doutes sérieux sur la solvabilité du débiteur ou lorsqu’aucune garantie n’est prévue et qu’il n’existe aucune obligation de remboursement, si les intérêts ne sont pas payés mais sont portés en augmentation de l’emprunt et qu’il n’existe pas de convention écrite.

La prestation appréciable en argent peut consister soit dans la mise à disposition d’un montant sans que son remboursement ne soit envisagé, et correspond au montant remis à l’actionnaire,  soit dans la renonciation par la société à une contre-prestation adaptée au risque couru, et correspond alors à l’écart entre le taux d’intérêt qui aurait été exigé d’un tiers et celui convenu avec l’actionnaire.

La volonté des parties que le prêt soit remboursé occupe une place centrale dans l’appréciation de la prestation appréciable en argent. Cette volonté, qui est par nature interne, doit être appréhendée par des indices clairs. En sont le traitement comptable chez les deux parties, la capacité de remboursement de l’actionnaire, l’utilisation des fonds prêtés. Faute de volonté de remboursement, il s’agit d’un prêt simulé, sans qu’il soit nécessaire d’établir la simulation au regard des conditions de l’article 18 alinéa 1 CO.

Vient alors la question de savoir à quel moment la prestation appréciable en argent au moyen d’une prêt simulé intervient – à l’octroi (simulation originelle) ou subséquemment (simulation ultérieure). Ce moment est déterminé par les circonstances au moment de l’octroi : si la simulation en ressort clairement, il n’y a pas lieu de tenir compte des développements ultérieurs dans la mesure où ils étaient déjà connus ou du moins étaient prévisibles ; sauf à avoir été fait sous la pression des évènements, par exemple pour faire échec à la qualification de simulation originelle, un remboursement exclut en principe l’admission de la simulation originelle. Si, en revanche, les circonstances au moment de l’octroi ne permettent pas de qualifier le prêt de simulé, l’autorité doit attendre que des indices de simulation clairs (par exemple, la dette ne diminue pas avec le temps, le prêt augmente, les intérêts ne sont pas payés) apparaissent, pour les appréhender comme une preuve indiscutable d’une prestation appréciable en argent (voir notamment notre blog de la semaine 13/22).

Les indices déterminants pour la simulation d’un prêt relèvent des faits, alors que leur portée juridique est une question de droit, avec les conséquences que cette distinction entraîne sur l’étendue du pouvoir d’examen du Tribunal fédéral.

Dans les trois causes, les recourantes ayant échoué à contester avec succès les indices de prêts simulés – augmentation des comptes courants auprès des sociétés, comptabilisation sans paiement effectif des intérêts, risque non garanti pour les sociétés, absence de convention écrite avec  les termes de remboursement, notamment – , ainsi que leurs conséquences juridiques, le tribunal a confirmé les distributions dissimulées de bénéfices retenues par l’instance précédente.

Le troisième arrêt traite aussi des théories du triangle (applicable dans le domaine des impôts directs) et du bénéficiaire direct (applicable en en matière d’impôt anticipé) lorsqu’il s’agit de déterminer le bénéficiaire des distributions dissimulées de bénéfices/avantages appréciables en argent. Le tribunal a rappelé que selon sa jurisprudence, la notion de distribution dissimulée suppose l’implication de l’actionnaire ; dans le cas où celle-ci devait être niée, le lien entre l’actionnaire et le tiers était toutefois constitué par l’absence de poursuites en recouvrement engagées par la société envers le bénéficiaire du prêt, ce qui permettait de qualifier l’avantage octroyé de distribution dissimulée de bénéfice. Il a confirmé l’application de la théorie du tringle au prêt simulé du cas d’espèce.