Semaine 31/23 – Suisse – Moment de l’acquisition du revenu d’une créance / Limitation conventionnelle du droit d’imposer une indemnité de licenciement

Les faits déterminants dans l’arrêt 9C_682/2022, 9C_683/2022 du Tribunal fédéral du 23 juin se résument comme suit :

  • à la suite de la résiliation anticipée avec effet immédiat, par un settlement agreement, de son contrat de travail avec un club de football étranger, sous lequel il était domicilié avec son épouse sur place, l’époux devait recevoir une indemnité, payable en tranches sur plusieurs années ;
  • après l’encaissement de la première tranche, le couple a repris domicile en Suisse ;
  • le solde de l’indemnité n’a été versé que plus de trois ans plus tard et après qu’un tribunal arbitral eut donné raison au contribuable, qui l’avait saisi pour non-paiement par son ancien employeur du solde de l’indemnité convenue.

Le litige devant le Tribunal fédéral portait sur le moment de l’acquisition de ce revenu : à la signature du settlement agreement, comme le soutenaient les contribuables, intimés, et comme l’avait jugé l’instance antérieure – avec pour conséquence sa  non-imposition en Suisse -, ou dans l’année de la sentence arbitrale et du paiement en découlant, selon l’autorité de taxation, recourante – impliquant une imposition en Suisse, sous réserve des dispositions conventionnelles avec l’Etat de la source, limitant le pouvoir d’imposition de la Suisse.

L’arrêt rappelle les principes posés par la jurisprudence :

  • l’imposition intervient dès que le contribuable acquiert un pouvoir de disposition effectif au sens économique sur le revenu, pour autant que l’augmentation de la fortune que celui-ci doit entraîner ne soit pas neutralisée par une obligation corrélative de s’en défaire totalement ou partiellement (voir notamment le blog du Groupe Ilex de la semaine 3/17) ;
  • une créance objectivement certaine ne peut constituer un revenu imposable que lorsque l’exécution peut en être obtenue ;
  • dès lors que l’exécution d’une créance ne peut être requise avant son échéance, c’est en principe à la date de celle-ci au plus tôt qu’elle peut être imposée comme revenu dans le chef du créancier, à moins que le débiteur ne lui ait opposé une exception (par exemple de prescription ou non adimpleti contractus, telle que prévue en droit suisse à l’art. 82 CO) ;
  • l’acquisition ainsi d’une prétention ferme détermine le moment de l’imposition du revenu d’une créance, à moins que l’exécution de celle-ci paraisse peu probable au regard des risques liés au débiteur, en particulier parce qu’il  est insolvable.

Dans le cas d’espèce, l’échéancier fixé dans le settlement agreement faisait que l’intimé n’avait pas acquis un droit ferme sur toutes les tranches de paiement à sa conclusion, mais aux dates de leurs échéances respectives. La contestation du débiteur avait eu pour effet de rendre l’exécution de la créance résiduelle incertaine. Cette incertitude avait été levée par l’issue favorable pour le créancier de la procédure arbitrale. C’est donc dans l’année de la sentence arbitrale que les tranches disputées ont été acquises (et d’ailleurs payées) à l’intimé et sont entrées dans le revenu imposable des époux en Suisse, à la suite de leur ré-assujettissement fiscal illimité survenu entretemps.

L’arrêt passe ensuite en revue les dispositions conventionnelles (CDI CH-EAU) pour déterminer si le pouvoir d’imposer de la Suisse ne s’en trouve pas affecté ; il s’agit des articles17 (« Artistes et sportifs ») et 15 (« Revenus d’emploi ») :

  • à l’alinéa 1, l’article 17 CDI pose comme exigence un lien étroit et direct entre le revenu et l’activité personnelle exercée dans l’Etat contractant. En l’espèce, le settlement agreement ne donne pas de manière explicite le motif du paiement ; même si, à l’évidence, celui-ci est en rapport avec l’activité de sportif précédemment exercée, le lien étroit fait défaut et, partant, cette disposition ne peut trouver application ;
  • la limitation au droit d’imposer de la Suisse, posée à l’alinéa 1 de l’article 15 CDI, ne s’applique pas in casu, dès lors que l’indemnité de licenciement n’est pas liée à l’activité exercée sous le contrat de travail, mais découle du settlement agreement, quand bien même il y a eu antérieurement un tel contrat pour une activité exercée sur le territoire des EAU (voir notamment le blog du Groupe Ilex de la semaine 18/17 au sujet de l’arrêt 2C_1165/2014 ; 2C_1166/2014 du 3 avril 2017).

L’analyse de la CDI CH-EAU conduit à la conclusion qu’aucune disposition conventionnelle ne vient restreindre le pouvoir d’imposer de la Suisse.