Semaine 22/25 – Suisse – Conflit de compétence d’assujettissement illimité d’une personne morale

La consultation régulière de la jurisprudence fiscale du Tribunal fédéral fait ressortir un accroissement substantiel des litiges portant sur l’assujettissement concurrent – porteur de double imposition – des personnes morales en raison de leur siège statutaire, d’une part, et du lieu de leur administration effective, d’autre part (voir pour la seule année 2025 notamment nos blogs des semaines 14, 18 et 20). Statistiquement, dans ces litiges se trouve majoritairement impliqué le canton de Zurich, en conflit avec des cantons suisses alémaniques à fiscalité plus favorable. Il n’est toutefois pas à exclure que les appétits de certains cantons romands soient aiguisés par cette jurisprudence – qui accorde la prééminence à l’administration effective – et qu’ils deviennent plus agressifs envers les sociétés domiciliées dans des cantons à plus basse fiscalité, mais en réalité effectivement administrées dans des cantons comparativement moins attractifs fiscalement.

Les cinq arrêts – 9C_422/2024, 9C_424/2024, 9C_558/2024, 9C_569/2024 et 9C_570/2024 – que le Tribunal fédéral a rendus le 29 avril sont illustratifs de cette tendance. Voici ce qu’il convient d’en retenir pour l’essentiel.

Du point de vue du droit formel:

  1. En vertu de l’article 100 alinéa 5 LTF, une décision de taxation rendue par un canton peut, pour autant qu’elle soit devenue définitive, être attaquée devant le Tribunal fédéral en même temps que la taxation pour la même période fiscale faite par un autre canton (voir notamment notre blog de la semaine 17/24), y compris pour réclamer la restitution de l’impôt déjà payé dans le premier canton (voir notamment notre blog de la semaine 14/25), et cela quand bien même la première décision ne tombe pas sous le coup de l’article 86 alinéa 1 LTF. La première décision peut être ainsi attaquée, même lorsqu’elle ne porte que sur la constatation du domicile fiscal.
  2. Bien que le Tribunal fédéral soit lié par la constatation des faits de l’instance précédente (art. 97 al. 1 et 105 al. 1 LTF) et qu’il doive écarter tout fait nouveau ou preuve nouvelle (art. 99 al. 1 LTF), en matière de double imposition intercantonale, ne sont pas concernés par cette exclusion les faits et preuves que le premier canton pourrait offrir.
  3. Le pouvoir de libre appréciation du droit fédéral qu’a le Tribunal fédéral s’étend au droit cantonal harmonisé, ainsi qu’à la conformité du droit cantonal avec la LHID, alors que son pouvoir d’examen de l’application du droit cantonal non harmonisé est limité, comme d’ailleurs des violations des droits fondamentaux, par l’article 106 alinéa 2 LTF. Les critères alternatifs – canton du siège ou canton de l’administration effective –, posés aux articles 50 LIFD et 20 alinéa 1 LHID, relèvent du droit fédéral.
  4. Dans la règle, c’est le canton où la personne morale est inscrite au Registre du commerce qui a compétence de la taxer de manière illimitée. Si un autre canton revendique cette compétence en raison de la direction effective, il lui revient d’apporter la preuve qu’il abrite celle-ci, avec un degré de vraisemblance prédominant, au vu de l’ensemble des circonstances. En tout état de cause, la contribuable reste tenue par son devoir de collaboration.

Sur le plan du droit matériel :

  1. Lorsque l’administration effective d’une personne morale est conduite à un autre lieu qu’à son siège, c’est celui-là qui l’emporte dans la détermination de son domicile fiscal principal.
  2. Le lieu de l’administration effective est celui où la direction de l’entreprise est coordonnée, les décisions essentielles relatives à son activité dans le cadre du but social sont prises, et où son existence économique se focalise véritablement et effectivement. Il s’agit du lieu où sont conduites les affaires sociales courantes, dans le cadre du but social. En présence d’une pluralité de lieux concurrents, c’est celui de la direction opérationnelle qui doit l’emporter. Ainsi définie, l’administration effective se différencie d’une part de la gestion purement administrative et d’autre part de l’intervention des organes supérieurs se limitant à exercer un contrôle et à prendre des décisions stratégiques.
  3. Le domicile personnel du seul dirigeant de la personne morale ne saurait être considéré, à titre subsidiaire, comme le lieu de l’administration effective de celle-ci.
  4. Pour cerner le lieu auquel se rattache l’existence économique de la personne morale, il faut encore que pour la conduite des affaires courantes dans le cadre du but social, elle y dispose d’une infrastructure et du personnel ou, plus généralement, d’une substance adéquate.

Dans les cinq causes en présence, le Tribunal fédéral n’a rejeté qu’un seul recours contre le canton de Zurich (9C_424/2024) et a donc admis dans les quatre autres que l’administration effectives des recourantes s’y trouvait.