La transmission de renseignements à l’autorité requérante sur la base d’une décision entrée en force selon l’article 20 alinéa 1 LAAF peut-elle être empêchée en raison de l’existence d’une procédure « subsidiaire » portant sur la demande d’un tiers de participer à la procédure, telle est la question au centre de l’arrêt 2C_992/2022 du Tribunal fédéral du 5 juin.
Cette question présente plusieurs facettes :
A/ Dirigé contre une décision incidente du Tribunal administratif fédéral, le recours est-il recevable ?
La réponse est affirmative, si notamment elle peut causer un préjudice irréparable (art. 93 al. 1 let. a. LTF), c’est-à-dire si le préjudice crée un inconvénient de nature juridique (tel est le cas lorsqu’une décision finale, même favorable à la partie recourante, ne le ferait pas disparaître complètement).
En l’occurrence, la décision attaquée implique que l’Administration fédérale des contributions doit exiger de l’Etat requérant de ne pas utiliser les renseignements déjà transmis en exécution d’un arrêt du Tribunal fédéral et conformément aux engagements internationaux.
La condition de l’article 93 alinéa 1 lettre a. LTF est donc remplie.
B/ Le recours pose-t-il une question juridique de principe ou porte-t-il sur un cas particulièrement important au sens de l’article 84 alinéa 2 LTF, pour être recevable selon l’article 84a LTF ?
La question juridique de principe suppose que la décision en cause soit déterminante pour la pratique, ce qui est le cas notamment lorsque les instances inférieures doivent traiter de nombreux cas analogues ou lorsqu’il est nécessaire de trancher une question juridique qui se pose pour la première fois et qui donne lieu à une incertitude caractérisée, laquelle appelle de manière pressante un éclaircissement de la part du Tribunal fédéral. La reconnaissance d’un cas particulièrement important suppose une violation importante et suffisamment crédible des principes fondamentaux de la procédure.
Le cas d’espèce soulève une question déterminante et susceptible de se poser dans toutes les procédures d’assistance administrative clôturées par une décision entrée en force. Se pose aussi la question de la compatibilité avec le principe procédural selon lequel une décision définitive acquiert force exécutoire.
L’entrée en matière se justifie donc sous l’angle de l’article 84a LTF.
C/ L’Administration fédérale des contributions, recourante, a-t-elle encore, après avoir exécuté la décision attaquée, un intérêt actuel à recourir, fondant sa légitimation?
La réponse est affirmative car si son recours est admis, elle pourra lever l’injonction à laquelle elle a été contrainte et l’autorité requérante pourrait utiliser le renseignements obtenus indépendamment de la procédure de recours du tiers.
La qualité pour recourir de l’Administration fédérale des contributions repose sur l’article 89 alinéa 2 lettre a. LTF.
D/ La décision attaquée ordonnant à l’autorité requise d’informer l’autorité requérante qu’un recours est pendant et qu’elle ne peut utiliser en l’état les informations déjà en sa possession constitue-t-elle une mesure provisionnelle au sens de l’article 98 LTF, de sorte que seule la violation des droits constitutionnels pourrait être invoquée devant le Tribunal fédéral ?
La qualification de jugement de fond ou de mesure provisionnelle au sens de cette disposition ne dépend pas de la procédure dont émane la décision en cause, mais de l’effet – provisoire ou définitif – qu’elle revêt pour la prétention en cause.
La décision attaquée présente bien un caractère temporaire, puisqu’elle n’interdit l’utilisation des renseignements reçus que jusqu’à droit connu sur le sort du recours du tiers. Dès lors, seuls les griefs de violation des droits constitutionnels peuvent être invoqués, pour autant qu’ils aient été expressément soulevés et exposés de manière claire et détaillée par la recourante.
E/ Le grief d’arbitraire invoqué par la recourante est-il fondé ?
L’arrêt attaqué est choquant tant dans sa motivation (en violation des articles 61 LTF et 20 alinéa 1 LAAF) que dans les conséquences qu’il entraîne (en accordant à une partie qui n’a participé à aucun stade de la procédure la possibilité d’en bloquer l’exécution en dépit d’un arrêt sur le fond rendu par la plus haute instance judiciaire et doté de la force de la chose jugée, au moyen d’une nouvelle demande, après avoir vu son recours au Tribunal fédéral déclaré irrecevable).
En reconnaissant fondé le grief d’arbitraire, le tribunal a admis le recours.